Fourreau Noir de Serge Lutens: La Version Française - 1ère partie {Critique de Parfum}
This is the French version, part 1, of my review of Fourreau Noir by Serge Lutens first published in English.
Le premier aspect qui frappe le regard en contemplant l'objet le parfum Fourreau Noir de Serge Lutens qui va sortir en septembre 2009 est le jeu des teintes transparentes se fondant les unes dans les autres - brun fauve, gris perlé, mauve passé - composant la couleur subtile et rare du jus de Fourreau Noir. C'est très beau, esthétiquement satisfaisant, et différent de la couleur que l'on aperçoit sur la photo de presse, se rapprochant plutôt des teintes du portrait d'Emily Brontë ci-dessus. Cette recherche de la teinte parfaite - Serge Lutens est aussi un artiste coloriste, ne l'oublions pas - on y devient sensible comme à une allusion offerte d'entrée de jeu par le parfum sur l'atmosphère qu'il contient et va révéler.
Fourreau Noir est avec Fille en Aiguilles l'une des deux dernières créations de Serge Lutens lesquelles semblent toutes deux se rattacher de par leur argument narratif de surface à une thématique haute couture et falbalas. On sait que Lutens a travaillé chez Dior, un passé qu'il a invoqué pour Serge Noir. On connaît également sa photographie ultra esthétisante de femmes mi-geishas et mi-poèmes de mode. On serait donc tenté, légitimement, de se rabattre sur le thème de surface en notant également au passage la récurrence d'une autre obsession, celle pour la couleur noire apparue de manière explicite dans, encore une fois, Serge Noir, mais aussi dans Five O'Clock au Gingembre (voir index des perfume reviews)...
Je voudrais prendre le contre-pied de cette position après en avoir souligné l'évidente, sans doute trop évidente, pertinence car après avoir senti le parfum et observé son déroulement, l'on se rend bien compte que Fourreau Noir ne saurait être réduit à un simple effet de texture grâce à l'usage riche et souple de la tonka. Fourreau Noir est plus qu'un tombé de velours, ou une matière fluide enveloppant un corps de femme comme l'indique d'emblée par ailleurs la polysémie du nom du parfum.
Ce qui m'est donné d'apprécier le plus ici, c'est la profondeur psychologique émanant de la composition, et plus encore un certain sentiment de pathos auquel je suis sensible. Ainsi l'habituelle complexité lutensienne se trouve-t-elle transcendée par un élément plus rare, l'émotion. Combien de parfums ont pu me faire pleurer depuis que je pratique l'art de sentir de manière intensive? Peu, mais celui-ci le peut.
De manière plus rationnelle je dirais aussi que Fourreau Noir permet de mieux comprendre la différence de métier existant entre celui de directeur artistique en parfumerie, Serge Lutens, un auteur non-parfumeur, et celui de nez, c'est-à-dire le métier de Christopher Sheldrake, collaborateur de Lutens depuis les débuts de la marque. On conçoit que la dichotomie soit quelque peu difficile à maintenir rigoureusement dans la réalité car qui peut clairement démêler au fil du temps ce qui s'est produit et continue de se produire entre les deux hommes après toutes ces années passées à s'écouter ? Qui peut dire où l'intuition de l'un commence et où celle de l'autre s'arrête ?
Il y a un point de fracture néanmoins qui pour moi est apparent, c'est celui de la biographie s'exprimant au travers des thèmes obsessifs et des métaphores privilégiées par Serge Lutens. Je doute que sans Lutens, Sheldrake continuerait de développer ad infinitum ces accords orientalisants mêlés de fruits confits, d'encens, et de lavande comme ici. On n'a pas encore apprécié à sa juste valeur le travail de variation subtil qui se joue dans l'œuvre lutensienne, le langage enfin, qu'il a réussi à créer car bien des esprits obtus réclamant à corps et à cris de l'innovation radicale, un chatouillement des sensations comme si l'on se rendait à la fête foraine pour aller sur les montagnes russes parce que l'on se meure d'ennui, ne se rendent pas compte qu'il existe une volonté expressive derrière le travail de Lutens de dire les différentes nuances vécues et rêvées de sa vie d'une manière consistante et poutant toujours renouvellée. A la fin un véritable langage-univers nous est offert avec sa grammaire d'accords.
Dans Fourreau Noir, l'on discerne également quelque chose d'anglais, de septentrional. Je suis amenée à penser au romantisme d'Emily Brontë. Sheldrake et Lutens sont du nord tout en ayant eu des expériences de vie dans des contrées exotiques comme l'Inde pour le premier et le Maroc pour le second. Un contraste qui est source de richesses olfactives.
2ème partie: Comment cela sent
Du grand art, votre critique de Fourreau Noir. Si on exclut Luca Turin, je doute qu'il existe un critique de parfums aussi lyrique et sensible que vous. Vous avez vraiment saisi Lutens, son âme, son génie. Bravo!
Eh bien, vous me voyez quelque peu confuse, mais je vous remercie pour ce commentaire très flatteur.
Je le prends comme un encouragement à publier plus en français.
Avis:
On accepte les commentaires négatifs également (ne pas inclure d'insultes svp)
Pour information : Fourreau Noir est en vente sur www.salons-shiseido.com depuis le 1er septembre.